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Insurrection ou Révolution : Le Manifeste des intellectuels fait le bilan des événements des 30 et 31 octobre 2014

Trois mois jour pour jour après la chute du régime de Blaise Compaoré, ils sont nombreux les Burkinabè qui tablent encore sur la nature des événements que nous avons vécus. Si pour certains, il s’agissait d’une révolution, pour d’autres, les journées des 30 et 31 octobre 2014 sont à ranger dans le sillage des mouvements insurrectionnels. Afin de passer au crible le sens des événements, le manifeste des Intellectuels a organisé une conférence publique le samedi 31 janvier à l’Université de Ouagadougou. Pour en débattre, il y avait, au présidium, le Pr Luc Marius Ibriga du FOCAL, Moussa Diallo, professeur de philosophie au lycée Bogodogo et le Pr Mahamadé Sawadogo du Manifeste des Intellectuels.

 

 Des interventions des trois panélistes, l’on peut retenir que le caractère violent des manifestations qui ont conduit à la chute du régime de Blaise Compaoré, peut être considéré comme une insurrection.

Après avoir observé une minute de silence en la mémoire des victimes de l’insurrection populaire, place maintenant aux trois communications avec pour thème « insurrection et révolution ». La première a été animée par le Pr Luc Marius Ibriga, par ailleurs, Contrôleur général de l’Autorité supérieur du contrôle de l’Etat (ASCE). Selon lui, « l’insurrection se présente comme un moyen de changer un ordre établi et sur ce plan, elle est une manière de s’opposer à un système établi et de le renverser ». Mais, « il y a une similarité dans l’action en ce sens que la révolution met a plat le pouvoir et sape les fondements de ce pouvoir », précise t-il. Même si les deux semblent suivre les mêmes démarches, une différence de forme existe entre insurrection et révolution parce que, poursuit-il, « l’insurrection a pour but d’aliéner le comportement et d’arracher les libertés et les droits alors que la révolution transforme les fondements et la structuration d’une société ».

Qu’en est-il des événements des 30 et 31 octobre 2014 ? Pour ce qui est du cas burkinabè, le conférencier répond que « nous avons eu une insurrection populaire parce que cela était inattendu et non préparé. C’est une insurrection issue d’une fronde sociale ». En guise de justification, celui-ci s’explique en ces termes : « quand les manifestants ont envahi l’Assemblée nationale le 30 octobre, l’objectif n’était pas de renverser le régime de Blaise Compaoré, mais d’empêcher l’adoption de la loi portant modification de l’article 37 ». Pour le panéliste, l’insurrection aurait pu être évitée, si le président Compaoré avait anticipé son discours du 30 octobre 2014 dans la soirée du 29 octobre.

Le caractère illégal de l’insurrection

En régime démocratique, le Pr Ibriga précise que l’insurrection est mal vue dans la mesure où on considère que la voie pour conquérir le pouvoir est celle des urnes. Pour le président du FOCAL (Forum des citoyens pour l’alternance), « tous les pouvoirs révolutionnaires et réactionnaires, une fois installée, condamnent l’insurrection qui remet en cause le système venant du peuple ». En ce moment, précise t-il, l’insurrection sera qualifiée de réactionnaire. Notre constitution permet au peuple de désobéir. L’insurrection est donc une forme de désobéissance violente.

Le 31 octobre 2014 : le pouvoir était à terre

Le pouvoir était à terre le 31 octobre ; c’est ce qu’a laissé entendre le Pr Luc Marius Ibriga à propos du déroulement des événements dans la journée du 31 octobre dans la mesure où aucune force du pays n’a été capable de prendre le pouvoir. Selon lui, « le pouvoir gisait par terre et personne n’a voulu le ramasser. Donc la force la mieux organisée à savoir l’armée s’est emparée du pouvoir. Puis, on a failli basculer dans un coup d’Etat quand il y a eu la déclaration de la suspension de la constitution ». De ses analyses, il conclut que tous les partis politiques ont démissionné ce jour là car aucun leader de parti politique n’a accepté prendre ses responsabilités.

S’agissant de la transition, le Contrôleur général de l’ASCE pense qu’elle n’est que réformiste qui va poser les actes et les règles approfondissant la démocratie au Burkina Faso.

« La révolution ne se décrète pas », dixit Moussa Diallo

La deuxième communication a été livrée par Moussa Diallo, professeur de philosophie au lycée Bogodogo et doctorant en philosophie politique. En s’appuyant sur des théories, il affirme que « ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre au Burkina Faso n’est pas une révolution ». La différence entre révolution et insurrection est nette. Selon lui, « l’insurrection est un moyen de réalisation de la révolution. Quant à la révolution, elle est l’aboutissement de l’insurrection. Il y a des conditions à remplir pour y parvenir. Elle nécessite une réorganisation, voire une reconfiguration totale de la société et une réinvention des institutions.

Dans un exposé entrecoupé parfois de tonnerre d’applaudissements, il fait savoir que la révolution n’est pas un changement d’individu à la tête de l’Etat. Se référant aux événements burkinabè, le doctorant en philosophie politique pense que le changement qui s’est opéré a mis en place une continuité de l’ancien système. Pour preuve, dit-il, « la plupart des dirigeants ont été des anciens proches du président Compaoré (le Président de la République a été pendant 11 ans un ambassadeur de Blaise Compaoré et le Premier ministre n’est autre que le numéro 2 du Régiment de sécurité présidentielle ». En conclusion, il reconnaît que les élections ne sont pas des voies sûres pour accéder au pouvoir d’Etat, parce qu’une partie du peuple peut s’insurger pour prendre pouvoir.

Le Pr Mahamadé Sawadogo ajoute, pour sa part, pour qu’il y ait révolution « il y a des changements plus profonds qui doivent être installés. Il faut qu’il y ait un gouvernement révolutionnaire, des mesures sociales pour soutenir le peuple afin qu’il ne souffre pas de la faim. Il faut qu’il puisse envoyer ses enfants à l’école et qu’il puisse bénéficier des soins ». Hormis les mesures populaires, le Pr Sawadogo pense qu’il faut convoquer une assemblée constituante permettant aux différentes catégories du peuple de choisir ses représentants pour former ladite assemblée. Laquelle prendra des dispositions pour adopter une nouvelle constitution qui va donner une nouvelle reconfiguration des institutions.

Une révolution, renchérit-il, « doit organiser le pouvoir populaire c’est-à dire encourager les citoyens à s’organiser pour s’intéresser à la vie politique et contrôler l’action des autorités ». Le communicateur martèle que pour y arriver, « il faut un soulèvement armé. C’est en ce moment que le peuple va avoir les moyens de s’imposer aux autres forces armées qui vont vouloir défendre la contre-révolution ». Celui-ci fait allusion au PCRV (ndlr Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque). Mais ce parti, dit-il, doit conduire la lutte en impliquant d’autres forces qui trouvent leurs comptes dans la révolution.

Au regard de ce qui précède, ce qui s’est passé en fin octobre 2014 n’est qu’une insurrection qui a révélé la force du peuple burkinabè. D’après le Pr Sawadogo, « le peuple a compris qu’il est capable de se soulever au-delà des différences ethniques, religieuses, et linguistiques au tour d’un but ». Ce sont des acquis importants qu’il faut consolider. En se projetant vers l’avenir, le Pr Mahamadé Sawadogo souligne qu’après les élections à venir, « si les dirigeants commettent certaines erreurs, le peuple va ressortir. Les peuples ont des limites dans leurs capacités à supporter les errements des dirigeants », a-t-il indiqué.

Ce panel se situe dans la continuité d’une série de conférences faisant suite à l’évolution de la situation nationale. Pendant près de trois heures, les étudiants et autres personnalités politiques n’ont pas marchandé leur présence à la conférence empreinte de débats enrichissants en dépit des matchs de la CAN qui se jouaient pratiquement aux mêmes heures. Cela témoigne sans doute de l’intérêt et de la pertinence du thème du panel.

 

Eric OUEDRAOGO
Pour Lefaso.net

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