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Lutte antitabac au Burkina : « une séance de chicha correspond à fumer un paquet de cigarette et il est 20 à 30 fois plus toxique » Dr. Sidi

[Cette interview vous été proposée en deux parties au lieu de quatre comme annoncée précédemment]

Lire les débuts de l’interview ici : Interview avec Dr Mohamed OULD Sidi Mohamed : « L’arrêté… portant apposition des images sur les paquets de cigarette a été signé… la mesure n’a pas encore été mise en œuvre »

Selon le comité national de lutte anti-tabac au Burkina Faso, le tabac tue plus de 1500 personnes par an au Burkina et plus de 6 millions  dans le monde entier. Et si rien n’est fait pour freiner l’avancée galopante de ce phénomène, « le tabac causera la mort de plus de 8 millions de personnes par an d’ici à 2030 dont plus de trois quart (3/4) dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », selon Robert KARGOUGOU, Secrétaire général du ministère de la santé et Président du Comité National de Lutte Contre le Tabac au Burkina Faso (CNLT). Devant la non application des Messages Sanitaires Graphiques par l’Industrie du Tabac (IDT) au Burkina Faso, infowakat.net est allé à la rencontre d’un acteur de la lutte anti-tabac sur le plan international en marge de la tenue de la session du Comité National de Lutte Contre le Tabac. Lisez plutôt ! 

Infowakat.net : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs s’il vous plait !

Dr Sidi : Je suis le Dr Mohamed OULD SIDI MOHAMED, Consultant pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Bureau régional AFRO – Brazzaville pour la lutte contre le tabac.

Infowakat.net : La journée mondiale sans tabac est célébrée le 31 mai de chaque année. Elle s’est tenue cette année sur le thème « Préparez-vous au conditionnement neutre ». Qu’est-ce que le conditionnement neutre et comment cela fonctionne ?

Dr Sidi : Le conditionnement neutre c’est quand on enlève toute la publicité que l’industrie du tabac fait sur les paquets de cigarette. C’est ainsi que toutes les marques vont être présentées de la même façon. Et c’est de la même façon que les marques seront écrites. C’est à dire que si une marque (exemple XXXX) doit être écrite selon les prescriptions nationales en bas du paquet, les autres YYYYY et ZZZZX doivent être également écrites de la même façon (Police et couleur) et a la même position du paquet au bas du paquet. Actuellement on constate que les marques de cigarettes sont écrites de manière différente. Quand vous prenez les différents paquets les cigarettiers utilisent ces paquets pour faire de la publicité. Mais s’il s’agissait du paquet neutre, toutes ces marques seront écrites de la même façon mais aussi au même endroit sur le paquet de cigarette.

Infowakat.net : Pense-vous que le Burkina Faso pourra un jour arriver au conditionnement neutre ?

Dr Sidi : Le Burkina est déjà sur la bonne voie. Le Burkina a réussi beaucoup de défis et je pense que le Burkina va aussi réussir ce défi. Comme la décision est entre les mains de la justice, on attend que la justice tranche sur la question. Une fois que la justice est dite, on verra quelles sont les actions qu’il faut mener. Mais je peux vous dire que dans le monde entier, que partout où l’industrie du tabac s’est plainte elle a perdue. Parce que là, il s’agit de protéger la santé des Burkinabè et des populations. Donc l’industrie du tabac à intérêt à s’exécuter pour ne pas enfin subir les peines. C’est dire que les mesures qui ont été adoptées sont des mesures raisonnables et applicables. L’industrie prétend le contraire, mais c’est elle plutôt elle seulement qui ne veut pas tout simplement s’exécuter.

Infowakat.net : Pensez-vous qu’actuellement il y a une volonté réelle des autorités actuelles à lutter véritablement contre le tabagisme ?

Dr Sidi : Je dirais oui ! Je dirais absolument oui ! Parce que si la volonté n’existait pas l’on n’allait pas adopter la loi et les textes d’application qui sont les décrets et l’arrêté. Si la volonté n’existait pas, le ministère de la santé non plus, n’allait pas porter plainte en justice pour faire appliquer la loi. Donc j’allais dire que la volonté existe. Mais cette volonté doit être entretenue par plusieurs actions notamment l’information, l’éducation, la communication et la sensibilisation. Il faut une société civile qui est vraiment active pour que cette volonté continue à être entretenue. Si non je pense que la volonté politique existe. Et c’est aux acteurs au niveau mondial mais aussi au niveau du Burkina Faso de faire en sorte que les mesures soient complètement appliquées. La volonté doit être cependant concrétisée par une décision de Justice qui doit démontrer son indépendance. Je pense aussi que la justice existe. Parce qu’à voir récemment ce qui s’est passé dans les deux dernières années au niveau du Burkina Faso, on voit que les juges sont indépendants et peuvent donc prendre des mesures indépendantes. Et les juges sont vraiment à l’afflux de l’information. Ils cherchent l’information correcte pour pouvoir prendre les mesures efficaces pour protéger les Burkinabè.

Infowakat.net : Etant donné que vous dites que la volonté des autorités existe à lutter contre le tabac, comment percevez-vous cette lutte antitabac au Burkina Faso ?

Dr Sidi : Je ne dirai pas que la lutte est timide. Je dirai tout simplement que la lutte a un peu de retard parce qu’à un moment donné, au niveau du Burkina Faso, l’on avait d’autres priorités. Il y avait des priorités qui allaient au-delà de la lutte antitabac. Je salue au passage cette détermination des populations et m’incline sur la mémoire des Martyrs. Et progressivement, je vois que cette lutte est en train de marcher au Burkina Faso. Quand vous comparez les faits aujourd’hui il y a 10 ans vous sentez la différence. Quand vous regardez autour de vous vous vous rendrez compte que le nombre de publicité sur du tabac a diminué. Excellence faisait de la publicité, notamment au cours de la « Nuit Excellence » où l’on récompensait les sportifs. Il y avait même une coupe dénommée « coupe CRAVEN A » avec des matchs de football la publicité de tabac battait son plein. Aussi, la boxe était-elle colonisée par une certaine Marque « Mustang ». Le cyclisme était quand à lui sous le joug de « Peter Stuyvesant ». C’est dire que chaque marque avait son terrain de prédilection. Et si vous constatez comme moi, que ces choses n’existent plus maintenant, c’est que la lutte avance.

tabacPour ce qui est de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, il faut dire que dans la plupart des lieux publics l’on ne fume pas comme avant. Et aujourd’hui, le constat est que les non fumeurs se font mieux respecter et que les fumeurs font des efforts en se retirant pour éviter d’enfumer les autres. Et là où le mal persiste, c’est dans certaines boîtes de nuit et certains bars. Effectivement il y a encore beaucoup d’efforts à faire à ces niveaux. Et là également je vous dis que ce n’est pas impossible et les propriétaires sont ouverts et qu’il leur faut un petit accompagnement. Le plus difficile c’est de les faire connaitre la loi et de les sensibiliser à respecter ladite loi. Mais il faut reconnaitre qu’il faut associer à la sensibilisation, la répression. Il faut que la Police Municipale et Nationale et tous les autres acteurs engagés dans l’application des textes puissent faire plus de sensibilisation mais aussi y associer des pénalités de sorte que les récalcitrants qui continuent à fumer dans les bars et autres lieux publics puissent reculer.

On a constaté qu’il y a une certaine montée de nouveaux produits du tabac comme le chicha. Les jeunes fument beaucoup le chicha lors des soirées plus ou moins privées mais aussi dans certaines boîtes de nuit et bars. Il faudra que le législateur, l’exécutif et le judicaire sévissent au niveau de ces lieux publics pour qu’on puisse protéger ces jeunes. La plupart du temps on vend ce chicha et on fait croire à ces jeunes que ce n’est pas du tabac. En réalité, une séance de chicha correspond à fumer un paquet de cigarette et il est 20 à 30 fois plus toxique. Donc nos autorités ont intérêt à agir dans ce sens pour protéger cette jeunesse.

Infowakat.net : Vous avez certainement été victime des manigances de l’industrie du tabac. Comment avez-vous pu gérer cette situation ?

Dr Sidi : C’est vrai que nous avons, au niveau du Burkina Faso, tous été victime de l’industrie du tabac. Et les premières victimes de l’industrie du tabac, ce sont les fumeurs. Parce que ce sont les fumeurs eux-mêmes qui payent ce tribut toute leur vie à l’industrie du tabac. Au moment du passage de la loi antitabac en 2010, on nous a mis en conflit les uns et les autres pour que la loi ne puisse pas marcher. Moi personnellement, je n’ai pas été directement victime de ces conflits, mais l’organisation à laquelle j’appartenais, notamment l’Association Afrique Contre le Tabac (ACONTA), a fait les frais de ces conflits internes. C’est ainsi, qu’on est allé jusqu’à la suspension de ACONTA à laquelle j’appartenais des instances de l’Union des associations de lutte contre le tabac (UACT). Mais je pense que c’était des malentendus. Ils ont réussi, à nous mettre en conflit. Mais à présent tout est résolu.

Infowakat.net : Quelle analyse comparative pouvez-vous faire des avancés acquises sous l’ancien régime et la conservation de ces acquis avec ce nouveau régime ?

Dr Sidi : Moi je dirais que l’administration est une continuité. Le premier défi était de faire en sorte que le ministère de la santé s’occupe du problème de la lutte antitabac. On a pu avoir un programme national de lutte antitabac logé au sein de la Direction de la promotion de la santé. Première victoire donc pour La lutte antitabac ! La deuxième victoire c’est lors que l’on a pu faire passer les textes (loi et décrets d’application). Et la plus grande victoire c’est quand la population comprend que ce nous sommes en train de faire, c’est pour leur bonne santé. Que ce soit sous l’ancien régime ou sous ce nouveau régime, on ne fera qu’aller de victoire en victoire au grand bénéfice de la population et le ministère de la santé est à l’avant-garde de cette lutte. Nous au niveau de l’OMS, nous ne faisons qu’appuyer. Et je pense que réellement on va encore avancer, que ce soit au Burkina Faso ou à l’extérieur du Burkina Faso.

Infowakat.net : Avez-vous des points que vous souhaiterez aborder ?

Dr Sidi : Je parlerai maintenant de l’interférence de l’industrie du tabac. Cette interférence a été longtemps vue par les acteurs de la lutte contre le tabac comme quelque chose qui peut empêcher les mesures efficaces de cette lutte. C’est ainsi qu’au moment de l’élaboration de la convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, les Etats se sont engagés à protéger les programmes de santé et de lutte antitabac contre l’interférence de l’industrie du tabac au moment de leur élaboration et au moment de leur mise en œuvre.

Infowakat.net : L’interférence de l’industrie du tabac c’est quoi au juste ?

Image approuvée par le Burkina
Image approuvée par le Burkina

Dr Sidi : L’interférence de l’Industrie du tabac c’est quand vous êtes en train d’écrire un projet de loi ou de mettre en œuvre une loi antitabac et que l’industrie du tabac essaye de s’immiscer dans ce processus pour soit annuler, soit retarder ces actions. Par exemple en 2010 quand on voulait adopter la loi antitabac, l’industrie du tabac a amené un projet de loi pour remplacer un certain nombre d’articles au niveau de la loi antitabac du Burkina Faso. Et ça, c’est de l’interférence de l’industrie du tabac au moment de l’élaboration des textes antitabac, et au moment de l’élaboration des politiques et programmes de lutte antitabac. Aujourd’hui pendant l’application, c’est-à-dire que maintenant que l’on essaye de mettre en œuvre des images sur les paquets de cigarette, l’industrie du tabac est venu encore dire à certains acteurs influents que, l’apposition des images sur les paquets de cigarettes ne marchent pas ou qui ne sont pas efficaces, ou qu’elles vont augmenter la contrebande, etc. C’est ce que l’on appelle de l’interférence, de l’ingérence de l’industrie du tabac dans les programmes de santé publique et de lutte antitabac au moment de leur mise en œuvre. Je dois absolument attirer l’attention des autorités sur ce fait. Quand on met en œuvre des politiques de lutte antitabac, on ne doit pas inviter l’industrie du tabac. Quand on adopte des textes de lutte antitabac, on ne doit pas inviter l’industrie du tabac. C’est comme si l’on élabore une stratégie de lutte contre le paludisme, et que l’on invitait aussi les moustiques. C’est comme quand vous élaborez des programmes contre n’importe quelle maladie et que vous invitez le vecteur. L’industrie du tabac est le vecteur du tabagisme. Il n’y a aucune raison de l’inviter. Mais néanmoins, l’on peut l’écouter pour entendre ces préoccupations et puis on prend les mesures efficaces qu’il faut pour protéger les populations. Et une foi que les populations sont protégés, l’industrie du tabac ne peut atteindre ses objectifs uniquement mercantiles.

J’attire vraiment l’attention des uns et des autres à ne pas faire l’amalgame entre le commerce du tabac et la lutte antitabac. Certains vous dirons que la lutte contre le tabac doit etre placee sous l’angle du commerce. La lutte antitabac et la promotion accrue du tabac permettant son commerce à grande échelle sont incompatibles. Le commerce doit être limité ou interdit pour protéger la santé des populations. Et c’est cela, que l’on fait dans la cadre de cette lutte contre le tabac. Cela doit être fait par la structure du Gouvernement chargée de la Santé. Au Burkina Faso on n’a pas interdit, totalement le tabac, parce qu’on ne veut pas adopter une posture de jusqu’au boutiste, voir l’extrémisme. Sinon il y a certains pays qui ont totalement interdit le tabac comme le Bhoutan. Mais au Burkina on a voulu contrôler et limiter le tabac parce que si on ne fait rien, avec la croissance des populations et du phénomène, les hôpitaux risquent d’être remplis par des maladies non transmissibles pour lesquelles l’on ne peut même pas y faire face.

C’est vraiment mon cri de cœur et je terminerai en disant aux fumeurs que l’industrie du tabac n’est pas leur ami. L’industrie du tabac tend une cigarette aujourd’hui au jeune et voir même a l’enfant pour qu’il la fume. L’intéressé est pris dans un piège et continuera à payer la cigarette toute ton existence. L’industrie du tabac pour les fumeurs c’est co

mme quelqu’un qui te braque avec un pistolet et la balle va retentir au bout de 15 à 20 ans dans le dos. Parce dans les cigarettes comme dans tous les tabacs, il y a une drogue qui retient le fumeur. Je terminerais en disant que c’est possible d’arrêter de fumer. Il faut donc prendre la décision de se défaire définitivement de cette drogue ou aller vers les professionnels de la santé pour vous aider à vous défaire de cette habitude. L’apposition des images reflétant les conséquences sanitaires réelles du tabac, permet de réduire de façon substantielle le tabagisme et l’exposition à la fumée du tabac. De même il réduit les maladies et les décès lies au tabac.

Je vous remercie !

[2/2]

Propos recueillis par Armand Kinda (luckyarmandkinda@yahoo.fr)

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