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Interview avec Urbain Kiswendsida YAMEOGO : « La peine de mort est une peine qui n’a pas droit de cité dans un Etat de droit »

Le 31 mai dernier, le Burkina Faso a aboli la peine de mort à travers la modification du code pénal par les députés. Face à une question qui divise profondément l’opinion publique, Infowakat a reçu en interview Urbain Kiswend-Sida Yaméogo, président du CIFDHA (Centre d’information et de formation en matière des droits humains en Afrique) qui est une organisation membre de la coalition nationale contre la peine de mort au Burkina Faso.

La peine de mort au Burkina Faso a été abolie le 31 mai dernier, vous qui luttiez pour la protection des droits de l’Homme en Afrique, comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

 C’est avec grande satisfaction que nous avons accueilli, l’annonce du nouveau code pénal, le 31 mai dernier par l’Assemblée nationale du Burkina Faso; dans lequel l’abolition de la peine de mort au Burkina est actée.

Quelles ont été les actions que vous avez menées en faveur de cette abolition ?

Le travail en faveur de la peine de mort, a été une lutte de longue haleine qui a été engagée par un certain nombre d’organisations de promotion et de défense des droits humains au Burkina Faso. Depuis quelques années, une coalition a été mise en place sous le leadership de Amnesty International Burkina Faso, avec d’autres organisations comme le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP),  le Syndicat national des avocats du Faso (SYNAF) … Nous avons fait un travail de sensibilisation et de plaidoyer à l’endroit des acteurs politiques en vue de favoriser l’abolition de la peine. En 2016, nous avons eu l’appui de la Francophonie, qui nous a permis de sensibiliser le public pour qu’il comprenne l’intérêt et la nécessité de l’abolition de la peine de mort au Burkina Faso. Nous avons fait des formations au profit des chefs religieux et coutumiers, à l’endroit des journalistes, des organisations de la société civile et à l’adroit des acteurs de la justice; qu’il s’agisse des avocats, des magistrats et la garde de sécurité pénitentiaire. Au vu de tout ça, nous ne pouvons que nous satisfaire, de l’option qui a été prise par le Burkina Faso, d’abolir la peine de mort, pour les crimes de droit commun à travers sa consécration dans le nouveau code pénal.

Mais, je dois dire que cette satisfaction n’est pas totalement complète, parce que le vote de cette loi n’a pas été unanime. Ce qui est bien dommage parce que le positionnement choisi par certains députés est davantage un positionnement politique. Pour nous c’est bien d’abolir la peine de mort pour les crimes de droit commun mais c’est encore mieux si le Burkina Faso allait de l’avant pour faire disparaitre la peine de mort dans son arsenal juridique.

Quel est le bien-fondé de cette abolition ?

Il faut dire d’abord que la peine de mort vient à l’encontre d’un droit fondamental qui est le droit à la vie. Le droit à la vie que nous estimons être le premier droit, puisque, c’est quand on a la vie que l’on peut prétendre à tous les autres droits. Ensuite, nous estimons que le Burkina Faso a signé un ensemble de conventions internationales et régionales en faveur du respect du droit à la vie qui plaide en faveur de l’interdiction de toutes les peines cruelles, inhumaines et dégradantes. Il n’y a pas plus peine cruelle, inhumaine et dégradante à l’endroit des êtres humains que celle de la peine de mort. Donc pour nous, la peine de mort c’est la forme la plus ultime de torture, la peine la plus humiliante, la peine qui vient en négation en réalité de la dignité humaine. Au-delà de cela, lorsqu’on se fonde sur  les principes moraux, coutumiers et religieux, on aime dire que : « la vie c’est Dieu qui l’a donné et c’est Dieu qui peut le reprendre’’. Retirer la vie au nom d’une prétendue justice, c’est à la limite pour ceux qui sont religieux, s’arroger des prérogatives divines, à partir du moment où l’Homme n’a pas donné la vie.

La peine de mort est en réalité une peine discriminatoire. Lorsque vous prenez les Etats-Unis ou la peine de mort existe, vous verrez que très souvent, elle est en réalité appliquée à l’encontre des populations noires ou à l’encontre des populations pauvres. Ceux qui sont riches, qui ont les moyens, vont prendre de bons avocats pour se défendre. Même si leur crime est avéré, la probabilité qu’ils échappent à la peine de mort est plus forte par rapport au pauvre qui n’aurait pas les moyens de sa défense.

En plus, nous pensons que la peine de mort mérite d’être abolie parce qu’on n’est jamais à l’abri des erreurs judiciaires. Lorsqu’on prononce la peine de mort et qu’on l’exécute, c’est une sentence irréversible. Une fois que la personne est exécutée même si par la suite on arrive à établir son innocence, on ne peut plus retourner en arrière. Aux Etats-Unis avec le développement de la technologie des expertises ont été faites et des condamnés à la peine de mort ont été innocentés. En ce moment, on peut plus rien faire si ce n’est que le dédommagement éventuel pour les familles. La peine de mort est une peine qui n’a pas droit de cité dans un Etat de droit.

Quelles peuvent être les avantages ou les conséquences positives pour le Burkina de cette abolition que ça soit sur le plan politique ou juridique ?

En abolissant la peine de mort, le Burkina Faso se conforme à ses engagements au niveau international et régional africain en regard des conventions et traités ratifiés. La peine de mort dans notre arsenal juridique devenait problématique. Pendant les revues du Burkina Faso devant un certain nombre d’organes de traités, notamment devant le Comité des droits de l’homme, des recommandations avaient été faites au Burkina Faso allant dans le sens de l’abolition de la peine de mort. En le faisant donc, le Burkina Faso se conforme à ses engagements. Et ça sera avec une légitime fierté que le Burkina pourra dire lors des prochaines revues que la peine de mort n’existe plus dans son arsenal juridique pour ce qui est des crimes de droit commun.

Il est clair que sur le plan diplomatique, cela met le Burkina Faso en orbite parmi les pays abolitionnistes de droit et il est clair et incontestable que vis-à-vis de certains pays pour lesquelles la présence de la peine de mort peut être problématique, cela place le Burkina Faso en bonne posture. Je pense que ça va contribuer à renforcer les relations de coopération du Burkina avec les autres pays qui partagent les mêmes valeurs du caractère sacré et inviolable de la vie.

Qu’avez-vous à répondre à ceux qui pensent que l’abolition de la peine de mort viendra encourager certains délinquants dans leurs actes ?

Je trouve que c’est bien dommage d’établir des liens entre la peine de mort (sa présence ou sa non-présence) avec le développement de la criminalité ou du terrorisme. Donnez-moi un seul pays, ou la peine de mort a été un recours efficace contre la criminalité ou le terrorisme. Je crois qu’il n’en existe pas. Donnez-moi aussi un seul pays ou le fait d’avoir aboli la peine de mort est encourageant pour la criminalité ou le terrorisme. Il n’en existe pas non plus. Par contre, généralement quand vous voyez les pays dans lesquels la peine de mort existe toujours, ce sont des sociétés qui sont très violentes. Prenez l’exemple du Nigeria ou la peine de mort existe toujours pourtant c’est là-bas que BOKO HARAM commet les crimes les plus graves. La peine de mort n’est en rien dissuasive. Par contre si vous prenez des pays comme le Canada, la Suède, la Norvège …ou la peine de mort n’existe pas, le taux de criminalité n’est pourtant pas élevé.

Au lieu de chercher des solutions de facilité, il faut qu’ensemble nous mettions des politiques audacieuses en matière de justice pour reconnecter, pour recréer la confiance entre les citoyens et  leur justice. Nous saluons le courage du gouvernement. Nous sommes aussi reconnaissant à l’égard des parlementaires qui ont choisi de s’assumer pleinement et à la presse d’avoir fait le travail de sensibilisation à nos côtés.

Laure NANA

infowakat.net

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